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Histoire de la lumière de scène. Denis Willems

L'éclairage de scène est une notion relativement récente : même si le feu ou des effets d'optique ont toujours été utilisé comme effet dramatique (surtout liés à la religion), pendant des siècles le spectacle se joue généralement à la lumière naturelle, voire dans un « éclairage » global de la pièce. Première traces de "trucage lumière" lors des tragédies grecques, où un système de miroir était parfois utilisé pour capter les derniers rayons de soleil, créant un effet visuel pour annoncer la venue du dieu sauveur...

Le feu est symbole divin, et on utilisera de nombreuses bougies ou lampes à huile dans les églises pour éclairer les mystères et miracles. Puis le théâtre se retrouve à nouveau à l'extérieur et on joue à la lumière du jour.

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A la Renaissance, le théâtre entre à nouveau dans les murs et on utilise les coûteuses chandelles pour l'éclairage, dans des lustres qui éclairent aussi bien le public que la scène. Les architectes des théâtres italiens font les premières recherche sur l'éclairage, en utilisant des cuvettes de barbiers bien polies comme réflecteurs ou encore en jouant avec la couleur grâce à des bozze, petites boules de verre remplies de différents liquides colorés pour filtrer la lumière... les bases de l'éclairage de scène sont posées. (Serlio, vers 1550)

Vers 1565 l'auteur dramatique Leoni di Somi écrit que des ambiances de joie ou d'horreur peuvent être obtenues en jouant avec la lumière, ou encore que la scène est plus belle si le public est dans l'ombre (et ça économise 50 ducats au Duc !). En 1637, Nicola Sabbattini écrit « pratique pour fabriquer scènes et machines de théâtre », qui sera à la base du théâtre à l'italienne. Il décrit notamment un procédé pour que la scène s'obscurcisse en un instant ainsi que différentes méthodes d'éclairage scénique. Par exemple, des cylindres reliés à des fils sont utilisés pour obscurcir la lumière à distance.

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En 1640, installation de la rampe et du premier lustre (à chandelles) au Palais Cardinal (Paris).

La rampe est une série de lampes installées au sol à l'avant de la scène, ce qui crée un éclairage plus ou moins uniforme de la scène mais particulièrement peu naturel... On dit que la durée conventionnelle d'un acte correspond à la durée de consommation des bougies, que l'on remplaçait à l'entracte.

Avec les années, les théâtres rivalisent pour le décors le plus somptueux, le théâtre est avant tout lieu de luxe et le nombre de chandelles se multiplie. Une seule soirée à l'Opéra de Versailles engouffre 3000 bougies et 2000 lampes à huile, alors qu'une seule bougie correspond à une semaine de salaire d'un ouvrier...

Mais ces lampes restent de faible intensité, vacillantes, fumantes, et se consument vite. Les tragédies sont décomposées en actes de 20 minutes: c'est le temps que met la chandelle à se consumer... Les moucheurs s'activent alors, sous le regard du public, pour tout remettre en état.

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Les progrès de éclairage public serviront également à la scène : en 1784, les quinquets, nouvelles lampes à huile particulièrement efficaces, remplacent les chandelles à la Comédie française ; en 1804, c'est le gaz qui apparaît au Lyceum Theatre de Londres (installé en 1817).

Le gaz va permettre de grandes évolutions de l'éclairage scénique : en 1820 apparaît au Théâtre de l'Odéon de Paris le premier jeu d'orgue : les tuyaux de gaz des différentes lampes passe par un endroit où un opérateur peut régler le débit de gaz de chaque lampe afin de pouvoir en faire varier l'intensité. Cet appareillage avait un peu l'apparence d'un orgue d'église, d'où le terme « jeu d'orgue » encore synonyme de console d'éclairage à l'heure actuelle. En outre, la puissance du gaz permet l'utilisation de filtres de mica afin d'obtenir des lampes de couleurs différentes. (D'autres techniques étaient utilisée pour graduer ou colorer la lumière des lampes à huile, mais ce n'est qu'avec le gaz que ca commencera à devenir efficace).

Le gaz se répand dans tous les théâtres jusqu'en 1892, date où il sera abandonné suite à un incendie à l'Opéra Comique de Paris.

En 1826 l'invention de l'éclairage à la chaux (limelight) par l'anglais Goldsworthy Gurney permet une lumière suffisamment vive pour créer le premier projecteur capable de créer des accents forts de lumière sur la scène. Cette lumière est créée par un petit cylindre de chaux vive chauffé par un jet de gaz oxhydrique (mélange d'hydrogène et d'oxygène), et est la seule à rivaliser avec la lumière électrique en terme de puissance, mais est assez dangereuse. Il arrivait en effet que la bonbonne d'oxygène explose en pleine représentation...

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Pendant ce temps, les lampes électriques font leur apparition ans les théâtres. En 1846, on utilise des lampes à arc alimentées par de nombreuses batteries pour un effet de soleil. Mais cet éclairage ne peut être gradué et reste moins souple que le gaz, ce n'est donc utilisé que pour des effets spéciaux, malgré les avantages d'autonomie, de sécurité et d'absence d'odeur et de fumée.

Dans les années 1880, c'est l'éclairage à incandescence qui se répand jusqu'à complètement remplacer le gaz à la fin du siècle. Différentes techniques sont utilisées pour graduer l'éclairage (rhéostats, puis autotransformateurs, lampes thyraton et enfin à l'heure actuelle triacs et thryristors), imposantes machines nécessitant plusieurs opérateurs pour pouvoir modifier plusieurs circuits d'éclairage conjointement...

Les lampes à décharge seront-elles aussi améliorées à partir de 1930 (HMI, xénon) et utilisées pour leur forte puissance et leur lumière froide. L'éclairage fluorescent sera surtout utilisé en cinéma. L'éclairage à incandescence évoluera aussi de sons côté, notamment avec l'arrivée des lampes tungstène halogènes qui permettront des projecteurs de grande puissance, qui sont encore aujourd'hui les plus utilisés pour la plupart des applications (mais pour combien de temps ?). Des sociétés se crée spécifiquement pour le développement d'appareil d'éclairage de théâtre, la fée électricité permettant de créer des projecteurs de qualité en terme d'optique et de production de lumière, plus facile à multiplier et à accrocher dans n'importe quelle direction (même si dans un premier temps il seront placés uniquement là où il y avait des lampes à gaz).

Ces nouvelles possibilités modifient le rôle de la lumière dans le spectacle, et auront aussi des répercutions sur la scénographie: la lumière est maintenant capable de créer des ombre marquées, ce qui offre de grandes possibilités mais jure avec les ombres peintes sur les toiles de fond... il faut repenser la scénographie (décors en trois dimensions) autant que le rôle de la lumière. Les pionniers de la scénographie moderne ont bien sûr intégré la lumière dans leur réflexions, luttant contre l'éclairage utilisé dans une surenchère technique. Appia (1862-1928) par exemple place d'abord une lumière diffuse pour voir les éléments, puis ajoute une lumière active qui va créer les ombres et l'ambiance de la scène. Craig (1872-1966) utilise la lumière pour créer des espaces, bien loin de la recherche du réalisme propre au 19ème siècle. La lumière devient source d'expression dramatique plus par suggestion que par imitation de la nature.

Leurs recherches seront surtout influantes dans la seconde moitié du 20ème siècle, où les progrès techniques donneront tout leur sens aux écrits d'Appia et Craig. Chaque mouvement théâtral a sa propre conception de l'éclairage, et le métier d'éclairagiste apparaît (en 1950, Jean Vilar confie la réalisation de ses éclairages à Pierre Saveron, premier "éclairagiste" ou sens francophone du terme). Jusque là, c'est le metteur en scène qui s'occupait des lumières (réalisées par le chef électricien). L'éclairage de scène devient un art.

Aux Etats-unis on étudie déjà depuis plusieurs années l'éclairage de scène à l'université. En 1925, Stanley MacCandless enseigne l'éclairage à Yale, où il publiera A method of Lighting the Stage, ouvrage encore considéré aujourd'hui comme une référence (vous apprendrez d'ailleurs la technique dite du MacCandless durant la formation).

La commande des éclairages devra aussi évoluer. Les premiers appareils à rhéostat était à commande directe, c'est à dire que le ou les opérateurs utilisaient de grosses manettes directement sur le gradateur, une manette par circuit d'éclairage. Ces gros appareils était souvent situés sur scène, derrière les décors, ce qui n'est pas l'endroit avec la meilleure visibilité.

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L'invention de la première "télécommande", qui utilisait des fils de coton (!), a permis de créer les premières préparations: les opérateurs préparent le prochain effet d'éclairage puis avec un seul volant ou manette pour envoyer l'effet, même si la précision et la fiabilité de ce système laissait à désirer.

Avec le développement de l'électronique apparaissent les consoles à préparations électroniques: sur la console, on a autant de rangées de curseur que de préparations possibles (souvent deux), et autant de curseurs par rangée que de circuit d'éclairage, plus un potentiomètre général par préparation. Il est alors possible de créer un effet sur une rangée, de préparer le suivant sur la deuxième rangée en laissant son général sur 0% puis de monter le deuxième effet grâce à son général tout en descendant le général de la première préparation, qui sera alors disponible pour un troisième effet. Ce mode de fonctionnement, beaucoup plus aisé et plus fiable, est encore utilisé dans certains cas aujourd'hui.

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La console envoie l'information au gradateur grâce à une liaison électrique: un câble contenant en gros un conducteur par circuit d'éclairage envoie une basse tension correspondant au niveau de chaque circuit. Le gradateur devient une sorte d'ampli qui va multiplier cette tension de commande pour envoyer la puissance nécessaire aux projecteurs.

Dans les années 70 apparaissent les consoles à mémoire: il est possible d'enregistrer un effet et de le restituer avec un seul bouton. Ainsi en 1971 la société belge ADB installe à l'Opéra Garnier de Paris un jeu d'orgue à mémoire capable de gérer 500 circuits. C'est actuellement le type de console le plus utilisé.

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Ces consoles vont se simplifier et se démocratiser au fil des années (surtout dans les années 80 et 90) avec le développement de l'électronique et de l'informatique, permettant à de plus en plus de structures de s'équiper de matériel performant. Parallèlement à ça, on remarque une généralisation des sources puissantes telles que Fresnel et PC de 100OW et plus.

En 1986 (révision en 1992) on invente le protocole DMX (DMX512/92) qui permet un contrôle numérique des appareils d'éclairage. Ceci permet entre autre de profiter d'un grand nombre de circuits relativement simplement, de manière plus précise, plus fiable et plus économique qu'avec les liaisons analogiques telles de 0/10V utilisées jusque là.

Nous verrons en détail le fonctionnement de ces deux méthodes de commande, et principalement le DMX encore utilisé aujourd'hui.

Dans les années 70, on invente les changeurs de couleurs (à gélatine, puis dichroïques), puis en 1981, Vari-Lite place un projecteur sur une lyre motorisée pour la tournée de Genesis, tandis que la société Caméléon commercialise un projecteur muni d'un miroir qui peut être commandé depuis une console afin d'en faire varier l'orientation : la première lyre et le premier scanner inaugurent l'éclairage automatisé (par opposition à éclairage traditionnel). Ces machines se retrouveront d'abord principalement dans les secteurs de la musique et de la nuit, et trouvent maintenant leur place dans l'opéra et le théâtre.

Bien entendu cette nouvelle technologie demande de nouvelles consoles, et depuis on peut en gros classer les consoles d'éclairages en trois catégories: les consoles "trad", qui ne gèrent que des gradateurs, les consoles pour automatisés et les mixtes. La séparation devient de plus en plus nette entre les éclairagistes de théâtre et ceux de la musique, correspondant aussi à deux marchés de matériel assez différents (bien que maintenant ça tend à diminuer).

Enfin les années 2000 verront l'apparition des éclairages à base de LEDS, d'abord réservées à des effets lumineux de petite puissance mais de plus en plus utilisés soit en murs de leds permettant des effets de type vidéos, ou en projecteur « wash », plus récemment pour des effets « spots » bien qu'il soit encore difficile de concentrer suffisamment le faisceau pour avoir un effet similaire à une lampe à décharge.

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© 2008-12 Denis Willems. Tous droits réservés.


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